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Cécile Pérès et Philippe Potentier : « La réserve héréditaire des descendants doit être maintenue et son principe fermement réaffirmé »

Civil - Personnes et famille/patrimoine
24/01/2020
Le rapport sur la réserve héréditaire a été publié le 14 janvier 2020. Pas moins de 54 recommandations y figurent pour faire évoluer le droit positif. Le point avec Cécile Pérès, professeur de droit privé à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et maître Philippe Potentier, notaire à Louviers, Président de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat, co-directeurs du groupe de travail.
Actualités du droit : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la philosophie générale de votre rapport ?
Cécile Pérès et Philippe Potentier : Le groupe de travail avait pour mission de dresser un état des lieux de la réserve héréditaire au regard des mutations sociologiques et juridiques contemporaines ainsi qu’à la lumière des droits étrangers. Il lui était également demandé d’envisager des possibles évolutions du droit positif.
 
Le groupe de travail a ancré sa réflexion dans une démarche pluri-disciplinaire en procédant à des auditions non seulement de juristes mais aussi de philosophes, de sociologues, d’historiens, de psychologues, d’économistes ainsi que de représentants de milieux philanthropiques. Nous avons consulté des juristes – universitaires et praticiens – non seulement français mais aussi étrangers. Une quarantaine d’auditions ont été menées.
              
ADD : Se dirige-t-on vers un renforcement du pouvoir de la volonté individuelle dans la dévolution successorale ?
C. P. et P.P. : Il s’agit surtout de parvenir à un meilleur équilibre dans un plus grand respect des principes du droit des successions et des libéralités et de favoriser la recherche de solutions négociées entre le de cujus et ses héritiers réservataires présomptifs.
 
Dans cette perspective, le rapport propose notamment de faire évoluer la renonciation anticipée à l’action en réduction des libéralités excessives vers un véritable pacte de famille, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui.
 
ADD : Concrètement, préconisez-vous la suppression ou le maintien de la réserve héréditaire pour les descendants ?
C. P. et P.P. : Le groupe de travail propose que la réserve héréditaire des descendants soit maintenue et que son principe soit fermement réaffirmé. Il n’a pas identifié de forte demande sociale en faveur de sa suppression. Au contraire, les données sociologiques traduisent l’attachement général des Français à la réserve héréditaire ainsi qu’aux valeurs dont elle porte le symbole.
              
Au demeurant, l’observation des droits étrangers enseigne que la réserve héréditaire n’est en aucun cas une singularité française. Elle existe dans presque tous les droits de tradition civiliste. Elle a parfois valeur constitutionnelle, comme en Allemagne. Les droits de Common Law, s’ils ignorent la réserve héréditaire, fixent d’autres limites à la liberté de disposer à titre gratuit.
 
Si l’on supprimait la réserve héréditaire, celle-ci serait remplacée par d’autres freins à la liberté de disposer dont les inconvénients ne doivent pas être ignorés – risque de judiciarisation des successions ; imprévisibilité des solutions – et dont les fondements sont différents. En particulier, dans les droits de Common Law, l’égalité minimale entre les enfants n’est pas assurée. Une valeur à laquelle la population française demeure fortement attachée.
 
ADD : Le rapport propose-t-il de revenir sur l’équilibre quotité disponible/réserve ?
C. P. et P.P. : Le groupe de travail n’a pas identifié de forte demande sociale en ce sens mais il a exploré différentes pistes afin de mettre en lumière les avantages et les inconvénients des solutions envisageables.
 
Si le législateur souhaitait renforcer la liberté de disposer, il pourrait en particulier augmenter le taux de la quotité disponible en limitant à deux branches le montant de la réserve héréditaire de manière à ce qu’elle soit de la moitié de la succession en présence d’un enfant et des deux tiers en présence de deux enfants ou plus.
 
ADD : Vos propositions semblent de prime abord peu favorables au conjoint survivant. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce choix ?
C. P. et P.P. : Le rapport n’est en aucun cas animé d’une position de principe défavorable au conjoint survivant. De fait, il contient des propositions visant à améliorer le sort du conjoint survivant, en particulier pour ce qui concerne ses droits au logement.
              
C’est la réserve héréditaire qui est inadaptée à la situation particulière du conjoint survivant. Elle n’assure pas la satisfaction de ses besoins ; son régime juridique actuel est à divers égards critiquable. Ses fondements sont par ailleurs bien difficiles à identifier car le mariage est un lien électif, soluble et fragilisé par la facilité avec laquelle on peut aujourd’hui divorcer. Aussi le rapport propose-t-il de la supprimer.
 
ADD : Faites-vous des propositions en faveur des partenaires d’un PACS ?
C. P. et P.P. : Le rapport préconise de réaffirmer le pluralisme des modes de conjugalité dans le respect des données sociologiques et juridiques actuelles. Le Pacs est une union juridique qui doit notamment son succès à ce qu’il offre aux couples une alternative plus souple que le mariage. Il doit le demeurer et, pour ce faire, ne pas conférer de droits impératifs post-mortem au partenaire survivant.
 
En revanche, le rapport recommande de favoriser l’application de l’article 917 du Code civil pour faciliter l’exécution des libéralités en usufruit entre concubins ou partenaires.
 
ADD : Le rapport recommande une évolution du régime civil de l’assurance vie : que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?
C. P. et P.P. : L’interprétation jurisprudentielle actuelle conduit à exclure de la réserve héréditaire le capital et les primes versés au titre d’un contrat d’assurance-vie alors même que ce contrat constitue non une opération de prévoyance mais un produit de placement. Cette solution fragilise la réserve héréditaire.
              
Le rapport propose de soumettre, pour les seuls aspects civils, l’assurance-vie au droit commun des successions et des libéralités. Cette solution ne conduirait cependant pas à regarder tout contrat d’assurance-vie comme une donation mais à le traiter comme telle lorsqu’il constitue une libéralité au regard du droit civil. Cette proposition étant uniquement civile, le régime fiscal demeurerait inchangé.
              
Si cette proposition devait être suivie, il conviendrait d’engager une réflexion visant à identifier les critères – tel, par exemple, l’existence d’une faculté de rachat – permettant de faire le départ entre les assurances-vie constitutives de libéralités et les autres. Ces éléments pourraient constituer des directives que le législateur proposerait au juge dans le cadre de son opération de qualification. Le cas échéant, ils pourraient être érigés en présomptions simples. Il conviendrait également d’adopter des dispositions transitoires spéciales pour prendre en compte les prévisions des assurés dans le respect de la sécurité juridique.
 
ADD : Et côté solidarité, que suggérez-vous en matière de créance alimentaire ?
C. P. et P.P. : Le rapport propose ici d’améliorer la situation actuelle des ascendants dont la réserve héréditaire a été supprimée par la loi du 23 juin 2006. Il recommande de supprimer l’actuel droit de retour légal des père et mère (C. civ, art. 738-2), qui est largement critiqué, et d’accorder en contrepartie aux père et mère dans le besoin une créance alimentaire. Il préconise aussi d’élargir le droit à pension des ascendants ordinaires.
 
ADD : Prévoyez-vous des dispositions pour encourager les donations au profit des organismes philanthropiques ?
C. P. et P.P. : La réserve héréditaire, telle qu’elle existe actuellement, n’est pas un sérieux obstacle à la philanthropie au regard des pratiques observées.
 
Ceux qui disposent gratuitement de leurs biens au profit d’œuvres philanthropiques le font généralement soit parce qu’ils n’ont pas de descendant, soit dans des proportions qui sont aujourd’hui nettement inférieures à la quotité disponible actuelle.
 
Il ne nous semble donc ni nécessaire, ni opportun d’introduire un régime de faveur au profit des libéralités philanthropiques.
 
Les propositions générales faites par le groupe de travail sont de nature à répondre pour l’essentiel aux préoccupations des milieux philanthropiques tout en respectant la généralité de la loi civile.
 
Le rapport écarte par principe toute idée qui consisterait à faire dépendre le montant de la réserve héréditaire du niveau de fortune.
 
ADD : Et en matière de fiscalité, quelles sont vos préconisations ?
C. P. et P.P. : Le rapport invite à mettre en place un régime fiscal adapté aux libéralités dans les familles recomposées.
              
Il recommande aussi d’apporter quelques corrections afin d’aligner la fiscalité des partages et licitations portant sur des biens donnés en indivision sur celle des biens indivis résultant d’une donation-partage.
 
ADD : Quelles suites pourraient avoir votre rapport ?
 
C. P. et P.P. : Dans l’immédiat, ce rapport est de nature à éclairer la réflexion menée par le gouvernement ainsi que par une mission parlementaire en matière de philanthropie. Au-delà, il appartiendra au législateur d’en juger. Le rapport formule 54 propositions qui sont de nature à améliorer le droit positif.  
 
 
Propos recueillis par Clara Le Stum
Source : Actualités du droit