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Pupilles de l'État : de la difficulté de légiférer en période d’urgence sanitaire

Civil - Personnes et famille/patrimoine
05/05/2020
Après quelques hésitations, il a été précisé que le délai de réflexion des parents de naissance ainsi que celui de rétractation du consentement donné à l’adoption par les parents légaux ne sont pas suspendus. 
C’est d’abord une ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, parue au Journal officiel du 26  mars, – et prise en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 « relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période » –, qui a suscité un certain émoi dans le milieu de la protection de l’enfance ; en particulier, parmi les personnes en charge des pupilles de l’État, membres des conseils de famille des pupilles, professionnels des services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et représentants de l’État tuteur.
En effet, son article 2 prévoyait dans sa formulation initiale que « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».
 
La question qui s’est aussitôt posée aux professionnels concernés et aux membres des conseils de famille, est celle de savoir si cette « prorogation » s’appliquait au délai de réflexion de deux mois imparti à la mère de naissance qui a accouché sous secret pour reprendre l’enfant, et également au délai de rétractation – de deux mois également – pendant lequel l’enfant remis en vue de l’adoption et déclaré pupille de l’État à titre provisoire, peut être restitué immédiatement et sans formalité à ses parents ou à l’un d’entre eux (dans l’hypothèse d’une filiation établie). Ce qui revenait à prolonger le séjour en pouponnière des enfants concernés, de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois. Il semble que certains services aient calculé que la fin de la période d’urgence sanitaire ayant été fixée – provisoirement ! – au 24 mai 2020, le délai de deux mois ayant expiré ou expirant entre le 12 mars et le 24 juin 2020 (soit un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020, Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020, art. 1er) aurait été prolongé jusqu’au 24 août 2020. C’est à cette date seulement que le président du Conseil départemental aurait pu prendre un arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État, rendant l’enfant adoptable (C. civ., art. 347). Le projet d’adoption nécessitant certaines démarches, ces enfants n’auraient pas pu être confiés à leurs parents – adoptifs – qu’à l’âge d’environ six mois. Toutes les personnes qui ont vu Pupille le film de Jeanne Héry de 2018, ont pu percevoir la souffrance du nourrisson pendant ce long laps de temps de quarantaine, qui aurait été doublé du fait de l’urgence sanitaire. Alors même – comme l’ont souligné divers professionnels – que la continuité des services de l’ASE est assurée pour les enfants qui leur sont confiés et que la mère de naissance, ainsi que les parents légaux, peuvent en demander la restitution même pendant cette période d’urgence, par messagerie électronique ou par téléphone auprès des services adoption, alors tenus alors de remettre l’enfant immédiatement, sans attendre le 24 mai !
 
Les observations formulées auprès du Gouvernement, dans plusieurs domaines, dont celui de la protection de l’enfance, ont porté leurs fruits. Le rapport préalable à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19, présenté au Président de la République, précise que le gouvernement a décidé de revoir la question de la suspension des délais. Il rappelle utilement que la date d’achèvement de ce régime dérogatoire n’a été fixée « qu‘à titre provisoire » et que « l’article 2 de cette ordonnance ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir. Le mécanisme mis en œuvre par cet article permet simplement de considérer que l’acte ou la formalité réalisé jusqu’à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l’article 1er (état d’urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait ». L’article 2 de l’ordonnance du 15 avril dit que cette suspension n'est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, le texte précisant expressément que cette modification a un caractère interprétatif. Mais surtout en ce qui nous concerne, l’article 1er, 7° de l’ordonnance exclut expressément les « délais de demande de restitution de l'enfant déclaré pupille de l'Etat à titre provisoire, tels que définis au deuxième alinéa de l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles ».
 
Clairement, le délai de réflexion des parents de naissance et même de rétractation du consentement donné à l’adoption par les parents légaux, prévu par l’article L. 224-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), n’est pas « suspendu ». Le président du Conseil départemental peut donc prendre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État deux mois après la remise de l’enfant. La disposition, interprétative, se fond dans l’ordonnance du 25 mars et s’applique rétroactivement.

La difficulté est que certains services départementaux, à la suite d’une interprétation un peu hâtive de cette ordonnance, auraient, entre les dates du 25 mars et du 17 avril 2020, commis la maladresse de communiquer aux mères de naissance ou aux parents une date erronée pour revenir sur leur décision, se fondant sur l’hypothèse d’une prorogation des délais, en leur remettant, un papier mentionnant une date lointaine, comme c’est l’usage. Le président du Conseil départemental, responsable de l’action de ses services, est de ce fait confronté à un choix. Certes, il peut tenter de contacter les parents pour les informer de l’erreur de droit commise. Même si cela s’avère impossible, il serait à tout point préférable, dans le meilleur intérêt de l’enfant, qu’il s’en tienne à l’application de la loi et prenne un arrêté d’admission à la date d’échéance des deux mois, ce qui ferait cesser le caractère provisoire de son statut de pupille de l’État. La procédure de placement en vue de l’adoption pourrait être seulement retardée. En toute hypothèse, l’article L. 224-8 du CASF (L. n° 2013-673, 26 juill. 2013, JO 27 juill. ; elle aussi rédigée dans l’urgence ; voir à ce propos, Le Boursicot M.-Chr., Qui trop embrasse mal étreint, les approximations de la loi du 26 juillet 2013 relative au recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État, RLDC 2014/111, n° 5272) prévoit que cet arrêté peut être contesté par les parents de l’enfant (y compris le père – mais pas la mère – de naissance), les membres de leur famille (y compris celle de la mère de naissance) et ceux de la famille de l’enfant ou toute personne ayant assuré sa garde de droit ou de fait. Le délai de recours devant le tribunal judiciaire est de 30 jours, à compter de la réception de la notification qui est faite de l’arrêté, aux seules personnes précitées qui ont manifesté un intérêt pour l’enfant avant la date de cet arrêté. Or ce délai, pour agir en justice, pourrait être lui-même suspendu, mais si l’on retient la date provisoire du 24 mai, la date butoir pour exercer le recours serait le 24 juillet (un mois plus 30 jours). Il est donc évident que la décision de respecter la loi, après l’avoir mal interprétée, permettrait d’abréger de quelques semaines, le confinement prolongé des enfants concernés.

Enfin, il faut espérer que, dans le meilleur intérêt des pupilles de l’État admis définitivement en cette qualité, leur placement dans leur nouvelle famille ne sera pas reporté de plusieurs mois, dès lors que le conseil de famille aura consenti à leur adoption par la famille choisie et aura décidé du placement dont la mise en œuvre aura commencé. Parents et surtout enfants ne comprendraient pas qu’après avoir fait connaissance, on les sépare.
 
Source : Actualités du droit